Grâce à l’association Tremplins de l’imaginaire, j’ai pu assister à une rencontre mi-janvier avec Samantha Bailly en compagnie d’autres auteurs. J’ai pris quelques notes que je vais retranscrire dans cet article. Vous pouvez également regarder ce lien pour voir un autre compte-rendu de la même rencontre. Attention, cet article est très très long donc n’hésitez pas à prendre votre temps pour le lire.
Auteurs : quels sont vos droits ?
Le droit d’auteur
Le rapport Bruno Racine récemment publié a permis de constater que la majorité des contrats d’édition des grands groupes sont illégaux. Cela a permis de remettre à plat ce que signifie un auteur et quels sont les droits des auteurs.
Tout d’abord, qu’est-ce qu’un auteur selon la loi ? En réalité, la loi et les codes légaux ne s’intéressent pas à exprimer ce qu’est un auteur. C’est l’œuvre commerciale publiée qui fait l’auteur. Il s’agit en réalité d’un droit de propriété sur une œuvre et il n’y a pas de démarches particulières à établir.
« L’auteur d’une œuvre de l’esprit jouit sur cette œuvre, du fait de sa création, d’un droit de propriété incorporelle exclusif et opposable à tous. »
Cela implique des droits moraux et des droits patrimoniaux. Les droits moraux signifient que l’auteur seul a la paternité de son œuvre. Il a droit au respect de l’intégrité de cette œuvre. En France, le droit moral est perpétuel, inaliénable et imprescriptible. Cela permet à l’auteur de dire non à des modifications ou de l’enlever du marché par exemple.
Les droits patrimoniaux recouvrent le droit exclusif d’exploiter son œuvre en quelque forme que ce soit et d’en tirer un profit pécuniaire. L’auteur peut donc céder des droits de reproduction et d’adaptation à des tiers. En Europe, au décès de l’auteur, ce droit patrimonial persiste au bénéfice des ayants droit pendant 70 ans. L’œuvre entre ensuite dans le domaine public.
Le contrat d’édition permet de transférer les droits patrimoniaux à une entreprise.
Quand les maisons d’édition sont des ayants droit, si elles réimpriment des œuvres, les droits sont prolongés et réactivés ce qui constitue le summum de l’appropriation des droits. C’est particulièrement un problème pour les BDs qui deviennent des licences et ne tombent plus dans le domaine public.
En ce qui concerne la couverture par exemple, il s’agit d’un sujet à la frontière entre l’œuvre et l’objet commercial et l’éditeur impose souvent les couvertures.
Le droit d’auteur est un privilège qui vient de la Révolution française : il s’agit d’un droit de propriété personnaliste et royaliste qui devait stimuler les créations et récompenser les auteurs.
Le contrat d’édition
Les droits qui peuvent être cédés dans le cadre d’un contrat d’édition sont :
– Droit de reproduction papier
– Droit numérique (qui doit être un contrat différent)
– Droit de traduction
– Droits audiovisuels (cela constitue toujours un contrat séparé)
– Droit de merchandising (pour les ballons et figurines par exemple)
– Droit de représentation
Les droits de représentation ont été activés récemment dans le contexte des lectures publiques où la SELF a essayé d’imposer des frais pour eux pour chaque lecture publique, ce qui n’a pas abouti.
En ce qui concerne les droits de prêts (en bibliothèque, la SGDL s’est battue avec le SNE (Syndicat National de l’Édition) pour obtenir un droit de prêt pour les auteurs et cela a abouti à la formation de la SOFIA, organisation gérée à 50/50 entre éditeurs et auteurs. Actuellement, la SOFIA est entièrement aux crochets des éditeurs. Elle gère le nombre de livres achetés par les médiathèques. Elle date de 2000 mais les auteurs touchent les droits depuis 2014. Les auteurs doivent s’inscrire et envoyer un dossier. La société a changé de statut cette année pour que les éditeurs puissent avoir la gouvernance de la SOFIA.
Selon Samantha Bailly, lors d’un contrat d’édition, il faut céder uniquement les droits français de l’ordre de 20 % en numérique et 15-20 % en papier. Il faut un minimum d’à-valoir. Il faut céder les droits sur une durée contractuelle et non à vie. Si on signe avec une petite maison d’édition, il vaut mieux céder avec un bon pourcentage et raisonner par rapport à l’entreprise en face de soi.
Il est possible de rompre un contrat d’édition en cas de défaut d’exploitation permanente et suivie mais cela est compliqué à prouver, notamment avec l’impression à la demande donc il ne faut pas compter sur cette possibilité.
Dans le droit européen, il est possible de renégocier un contrat en cas de rémunération non équitable. La traduction française actuelle est « en cas de rémunération très défavorable », ce qui n’est pas équivalent et les auteurs français essaient de faire modifier cette traduction actuelle. Dans les faits, la possibilité de renégocier un contrat d’édition en France à l’heure actuelle est quasiment impossible.
La durée de cession souvent utilisée est de 70 ans après la mort de l’auteur. Il faut absolument négocier une durée limitée (5 ou 10 ans) ou se créer des portes de sortie le cas échéant pour pouvoir reprendre ses droits si les ventes ne sont pas au rendez-vous.
Les obligations de l’éditeur impliquent : une obligation d’exploitation permanente et suivie (possible de l’imprimer ce qui, avec l’impression à la demande, n’est plus si contraignant), une reddition de compte annuelle (au moins une fois par an avec une date prévue au contrat ou six mois après l’arrêt des comptes maximum si aucune date n’est mentionnée).
Avec le système des retours en librairie, les éditeurs ne savent pas combien de livres ils doivent rembourser ce qui explique la difficulté de déterminer précisément le chiffre d’affaires. Cependant, le problème de la reddition est que l’auteur n’a aucun moyen de vérifier légalement les chiffres donnés avec aucun tiers de confiance pour vérifier les ventes. Ainsi, de nombreuses sommes importantes peuvent être cédées dans le dos de l’auteur (notamment dans le contexte des traductions par exemple). De plus, la majorité des éditeurs se trompent sur les redditions. D’après une infographie du SDL, 60 % des auteurs doivent réclamer leurs relevés de compte, 52 % n’ont jamais reçu leurs droits à l’étranger, 24 % n’étaient pas au courant d’une traduction prévue de leur œuvre, et 25 % n’étaient pas informés d’une mise au pilon totale de leurs ouvrages.
La rémunération
La rémunération des auteurs s’effectue par plusieurs canaux : les à-valoir et les pourcentages.
L’à-valoir est une avance sur droit concédée par l’éditeur dans certains cas. Cependant, aucun texte légal ne mentionne cette pratique et il n’y a donc aucun encadrement juridique. Les droits d’auteurs sont une rémunération proportionnelle sur les ventes. Aux États-Unis, pays qui rémunère de manière plus importante les auteurs en à-valoir, le montant de ces à-valoir a chuté de 42 % dans les dernières années. Il est important de souligner que le travail créatif n’est jamais rémunéré à aucun moment.
Comment calculer un à-valoir ? Il est important de pouvoir estimer un montant d’à-valoir pour pouvoir le demander à un éditeur lors de la signature du contrat. Il est possible de demander le tirage et de multiplier par la moitié du prix du livre. Il est également important de faire la différence entre une commande de l’éditeur et une proposition de l’auteur. Dans tous les cas, l’auteur doit se demander à quel prix il est capable d’accepter de céder son travail. La grandeur d’une maison d’édition n’est pas forcément équivalente avec les garanties qu’on peut obtenir. En effet, d’après Samantha Bailly, les petites maisons d’édition avec qui elle a travaillé ont pu rémunérer ses déplacements en salons, les restaurants, les à-valoir de mille euros alors que les grandes ne font pas toujours autant d’efforts.
Dans tous les cas, il est primordial de se réserver des portes de sortie notamment avec la durée déterminée du contrat ainsi que les clauses de récupérations des droits (minimum d’exemplaires vendus par exemple). Il faut toujours demander le contrat d’édition sous forme écrite avant de signer et se réserver le temps de le lire et de le comprendre. La SGDL peut donner un conseil mais leur vision du droit des auteurs est peu fiable et la société est financée à 50 % par les éditeurs. La Charte permet également un accompagnement juridique gratuit mais uniquement pour les auteurs jeunesse publiés (avec un tirage à 500 exemplaires minimum).